Jusqu’à présent les connaissances sur la tour de Ganne restent lacunaires, malgré la réalisation de plusieurs études comme celles de René Crozet[1] (dans les années 1940) ou Gérard Roy[2]. L’histoire de cet édifice demeure trouble, et malheureusement ce passé est menacé par l’action du temps et de la végétation environnante.
Depuis l’année dernière nous menons une étude exhaustive de la tour de Ganne, en effectuant une recherche documentaire mais aussi archéologique, qui en 2016 c’est traduite par la réalisation d’une étude du bâti[3] de la tour. Ces premières démarches nous ont permis d’obtenir plusieurs informations notamment sur ce monument mais aussi sur l’histoire de Béruges aux XIIe et XIIIe siècles.
Nous connaissons assez bien le passé antique de Béruges, grâce au travail des Amis de Béruges, contrairement à son histoire médiévale. Pourtant, les fouilles menées ces dernières années dans le bourg, ont révélé la présence de sarcophages datant du Ve et Xe siècle. La découverte de ces vestiges suppose la présence d’un centre religieux ou d’un siège seigneurial à Béruges dès le Haut Moyen Age. Ce n’est qu’à partir de 1124, que les textes mentionnent la présence d’un castrum[4] à Béruges, ce qui suppose une présence seigneuriale.
En 1125, un document relatif de l’abbaye de Montierneuf de Poitiers semble nous indiquer que le seigneur de Béruges à cette période était Angilbert de Lusignan. Nous disposons de peu d’informations sur ce seigneur, à l’exception qu’il devait être membre de cette puissante famille poitevine et qu’il possédait des terres près de Niort.
Durant le XIIIe siècle, Béruges fut dominé consécutivement par différents seigneurs et cela dans un laps de temps court. En effet, au début du siècle, la seigneurie de Béruges semble être annexée par la châtellenie[5] de Montreuil-Bonnin, qui appartient alors à un vassal de Philippe Auguste, Bouchard de Marle. Puis vers 1230, Blanche de Castille alors régente de France aurait remis la châtellenie de Montreuil-Bonnin à Hugues X de Lusignan, comte de la Marche. En 1242, à la suite de la révolte d’Hugues X face à Alphonse de Poitiers, le roi Louis X décide d’attaquer le comte et lui confisque plusieurs biens, dont la tour de Ganne qu’il aurait démantelée.
A la suite d’une campagne de nettoyage de l’édifice en mars 2016, menée en collaboration avec la mairie et l’association Tour de Ganne. Nous avons pu mettre en évidence certaines structures, à l’exemple de la fondation d’une tourelle accolée à la tour. Cela, nous a permis aussi de pouvoir observer l’édifice dans de bonnes conditions.
La réalisation de l’étude du bâti de la tour, a démontré que l’ensemble de l’édifice fut bâti durant une même campagne de construction. En effet, nous avons pu remarquer que l’aménagement de l’éperon situé à l’ouest de l’édifice fut contemporain au reste de la tour. Puisque nous avons constaté la présence d’un chaînage[6] entre cette structure et l’édifice. Ce nouvel élément nous a permis de proposer une nouvelle datation pour ce monument. Dans les années 1940, René Crozet suggérait que la tour de Ganne, fut bâtie durant la première moitié du XIIe siècle. Hors, l’observation faite au niveau de l’éperon, nous tend à émettre l’hypothèse que l’édifice daterait du début du XIIIe siècle. En effet, l’éperon n’apparait dans l’ouest de la France qu’au début du XIIIe siècle.
Avec cette nouvelle datation, l’identité du commanditaire de la tour de Ganne commence à se préciser . Entre le début du XIIIe siècle et 1242, Béruges fut dirigé par trois seigneurs : Bouchard de Marle, Pierre de Marle et Hugues X de Lusignan. Pour l’instant nous privilégions l’hypothèse qu’Hugues X fut le commanditaire de la tour de Ganne. Puisqu’en effet, à Château-Larcher, autre seigneurie appartenant au comte de la Marche jusqu’en 1242, il y a la présence d’une tour dont le plan est proche de celui de la tour de Ganne.
Cette élément et l’importante fortune dont bénéficiait Hugues X, alors comte de la Marche et d’Angoulême nous font supposer qu’il fut probable que ce seigneur fut à l’initiative du chantier de la tour de Béruges.
Si l’étude du bâti nous a permis d’obtenir des informations intéressantes, elle n’a pas était suffisante pour répondre à toutes les interrogations concernant cet édifice. En effet, lors de nos observations il fut complexe de comprendre la fonction de la tour. Cet édifice comprend deux niveaux, le premier pourvu d’une salle quadrangulaire couverte par une voûte en berceau brisé, éclairée par trois fentes de jour et ouverte sur une niche aménagée dans l’éperon. Cet endroit dispose d’après R.Crozet d’un puits et d’une citerne qui permettait de contenir des céréales, mais la datation de cette structure demeure incertaine. Le second niveau, est constitué d’une salle quadrangulaire mais qui ne possède plus son couvrement. Par contre nous avons pu observer la présence d’une ouverture qui devait permettre d’accéder à une tourelle placée au sud de la tour. Celle-ci est représentée dans des dessins du XIXe siècle, à l’exemple de celui d’Alexandre Garnier. A ce niveau, on trouve aussi la présence d’une salle octogonale située dans l’éperon, elle est couverte par une coupole et est éclairée par deux fentes de jour.
L’élément intriguant dans cet édifice, est l’absence de structures pouvant indiquer sa fonction, en effet, nous n’avons remarqué aucune présence d’archères ou d’autres éléments liés à la défense, ou de structures liées à une vocation résidentielle comme des baies, des latrines,… Seule la fonction de salle du premier niveau peut être supposée, avec la présence d’un puits et d’une citerne, qui semble indiquer que ce lieu était dédié au stockage.
La tour de Ganne apparait comme un édifice protégé uniquement par ses murs de 3m d’épaisseur. Il est possible que le sommet de la tour accueillait des éléments de défense comme des hourds[7]. Mais les observations menées jusqu’à présent semblent indiquer que la tour de Ganne ne possédait pas une défense active[8] très importante. Ce qui pourrait démontrer que la tour de Ganne avait une fonction secondaire, il est possible qu’elle complétait la défense d’un territoire, comme le supposait Marie-Pierre Baudry[9].
Mais d’autres hypothèses sont envisageables, d’où l’importance d’approfondir l’étude de cet édifice en analysant les éléments caractéristiques de la tour de Ganne, à l’exemple de son plan pentagonal à éperon. Ou par la réalisation de fouilles archéologiques dans le but de mieux percevoir la fonction de l’édifice mais aussi pour tenter de préciser sa datation et compléter l’étude du bâti de la tour.
E. Guillon
[1]CROZET, René, « La Tour de Béruges, », dans, Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 1939 -1941, p. 276 – 282.
[2]ROY, Gérard, « La Tour de Béruges », dans, Bulletin de la Société des Amis de Béruges, n°7, Béruges, 1992, p. 14 – 27.
[3] Etude du bâti : discipline archéologique, qui a pour finalité de comprendre l’histoire d’un édifice, grâce à l’observation attentive et exhaustive de son architecture.
[4] Castrum : ce terme désigne un ensemble composé d’un siège seigneurial et d’un bourg fortifié.
[5] Châtellenie : synonyme de seigneurie, c’est un territoire sur lequel un seigneur exerce son autorité.
[6] Chaînage : système qui permet d’éviter les écartements ou la dissolution d’une construction. Par l’installation de blocs de pierre, de poutres ou de barres métalliques dans une maçonnerie.
[7]Hourd : construction en charpente au sommet des enceintes ou des tours, permettant aux défenseurs de protéger le pied de l’édifice.
[8]Défense active : tous les éléments permettant aux assiégés de se défendre par les armes, à l’exemple des archères, hourds,… A la différence de la défense passive qui permet uniquement aux assiégés de se réfugier.
[9]BAUDRY, Marie-Pierre, Les fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2001, 382 p.